" tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort "

Il n'avait alors que dix ans.
C'était un soir du mois d'octobre, il pleuvait dehors et le froid se faisait sentir. Il était dans sa chambre, à l'étage, lorsqu'il entendit des cris et des pleures provenant de la pièce du dessous. Il alla le plus silencieusement possible s'asseoir sur l'une des marches de l'escalier, assez haut pour qu'on ne puisse pas le voir, et regarda la scène qui se déroulait juste sous ses yeux innocents. Il prit entre ses petites mains, deux barreau de la rampe, passa sa tête entre ceux-ci et écouta attentivement. Il ne pouvait voir tout ce qu'il se passait mais il savait que ça n'avait rien de bon. Après quelques minutes d'écoute, il comprit qu'on parlait de lui. Son père criait, il soutenait à sa mère qu'il fallait emmener le petit chez un psychologue, que cela ne pouvait plus durer.

« Mais il est dingue ! Il faut le faire soigner ! Il ne va pas bien. Et je ne suis pas le seul à te le dire, tout le voisinage le dit ! Il n'a pas d'amis ! Il parle tout seul ! Il joue tout seul ! Il va finir par nous faire passer pour des fous, il va apporter le malheur à cette famille. Il va pourrir notre réputation ! Il faut faire quelque chose ! Je savais qu'il ne serait pas bon d'avoir cet enfant, je le savais. Et avec toi en plus ! Mais quelle idée stupide j'ai eue là ! » s'exclamait son père balançant ses bras dans tout les sens.

Le petit se sentit mal à l'aise. Il savait que son père ne l'aimait pas, c'était tout à fait clair dans son esprit mais il ne l'avait jamais entendu dire de telles choses. Il sentit monter en lui de la tristesse et de la honte. Il aurait voulu fuir et ne plus jamais revenir mais ils auraient finis par le retrouver et la situation se serait sans doutes empirée.
Il était vrai qu'il n'allait pas bien, mais il n'était pas fou. Loin de là. Il était vrai aussi qu'il n'avait pas d'amis, mais personne ne voulait de lui. Et lui ne voulait pas d'eux, il les pensait stupides, et sadiques. Il ne les aimait pas, il n'aimait personne. Il n'avait jamais eu d'amis. Depuis son plus jeune âge, il se sentait exclu. Ses parents ne souhaitaient pas réellement sa venue au monde, les autres adultes le prenaient pour un gamin sans cervelle et pour ce qui est des enfants de son âge, ils étaient bien trop stupides pour le comprendre. Eux ne faisaient que jouer aux billes et à la marelle alors que lui réfléchissait à ce qu'il allait bien pouvoir se mettre sous la dent ce soir si sa mère ne lui préparait pas à manger. Malgré tout, il n'y avait qu'elle qui semblait ne pas le prendre pour un fou, elle semblait être la seule à comprendre, mais elle était bien trop absente pour le petit pour qu'il en soit rassurer. Cependant, lui savait qu'il n'était pas fou, il savait aussi qu'il n'était pas comme les autres. Il avait quelque chose en lui de diffèrent, et il espérait plus que tout au monde découvrir ce qu'il était vraiment. Et quand enfin la vérité éclaterait, alors il se vengerait de tout ce qu'on lui avait fait subir. Des simples insultes aux coups que les autres enfants lui portaient, il se vengerait de tous. Il reprit le cours de la discussion de ses parents. Sa mère le défendait, elle disait savoir pourquoi il était comme ça. Elle révéla alors à son mari une chose qu'elle avait souhaité gardé à jamais pour elle.

« Ce gamin n'est pas ton fils, tu entends ?! Je t'ai trompé ! Deux, trois, peut être quatre fois ! Mais t'es tellement con que tu t'es jamais demandé pourquoi lui avait les cheveux clairs et les yeux bleus alors que tu es brun aux yeux marrons ?! Non, mais non, bien sur, tu ne l'a jamais regardé, tu l'as toujours ignoré, regardé comme s'il n'était qu'une merde ! Attends, il y a autre chose Tom que tu ne sais pas ! Je suis une sorcière, et le petit... »

Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase que l'homme la gifla avec plus de force que jamais, envoyant sa tête taper contre le coin d'un meuble. Elle tomba ensuite à terre de tout son poids, et ne bougea plus. L'enfant laissa alors échapper un cris de torpeur puis porta sa main à sa bouche. Il savait que son père battait sa mère mais il ne les avait jamais surpris, chaque fois qu'il débarquait dans la même pièce qu'eux, son père le regardait avec des yeux noirs puis allait s'enfermer dans son bureau. Sa mère lui disait alors d'aller se coucher sans poser de questions et il s'exécutait. L'enfant avait bu les paroles de sa mère, mais il ne comprenait pas encore tout. Il ne réalisait pas ce qu'elle venait de dire.

Son père continuait de jurer sur sa femme, la traitant de tous les noms d'oiseaux, la frappant encore et encore. Le petit se leva des marches, puis les descendit deux par deux. Il couru jusqu'au corps de sa mère gisant au sol. Il poussa son père au passage. Il se laissa tomber à genou près du corps de sa mère dont les cheveux étaient trempés de sang, une marre visqueuse et rouge se répandit sur le sol. Il porta sa tête dans le creux de son cou, il était encore chaud mais il n'y avait plus de pou. Il fit l'erreur de la regarder dans les yeux, un frisson le parcouru, ses yeux étaient vitreux, vides et grisâtre. Il passa sa main sur le visage de sa mère pour fermer ses yeux. Une larme coula sur sa joue, puis deux, puis trois. Il tachait de les retenir, il avait appris à ne pas pleurer. Son père lui avait toujours ordonné de ne pas pleurer, ''Un vrai homme ne pleure pas mon fils !'' lui rétorquait-il chaque fois que l'enfant pleurnichait. Quelques fois, cette phrase était accompagnée d'un ''Tu as l'air d'une fillette, quelle honte de t'avoir pour fils !''. Là, il ne sut retenir ses larmes, sa tristesse était bien trop forte. Il était trempé de sueur et de sang, il tremblait de tout son corps. Il laissa échapper un dernier sanglot qui fit place à la colère. Une colère jusqu'alors jamais ressenti, une colère intense. Il releva lentement la tête vers son père. Ses yeux étaient d'un noir de jais, ses poings étaient serrés, ses vêtements souillés de sang, ses veines portaient à exploser et sa respiration se faisait forte. Il fixa son père dans les yeux et se mit à souhaiter le pire pour lui. Il voulait qu'il pait pour ce qu'il avait fait, qu'il se souvienne toute sa vie de son crime, qu'il en soit hanté, qu'il ne puisse plus dormir la nuit de peur que le fantôme de sa femme revienne le hanter. L'homme se mit à rire, d'un rire démoniaque, ce qui ne fit qu'amplifier la colère de l'enfant. Son père avait eu tord de ne pas laisser à sa femme le temps de finir sa phrase, peut être lui aurait-ce épargné de telles souffrances. Il ne sut expliquer dans l'immédiat ce qui se passa ensuite, mais ça n'avait rien de normal.

Les fenêtres s'ouvrirent dans un violent fracas et de puissant courants d'air traversèrent la pièce. La foudre frappa au dehors et la pluie se mit à tomber à grand sanglots. On aurait dis que le ciel criait sa colère et pleurait sa mère. L'enfant ne détacha pas le regard de l'homme. Celui-ci se recroquevilla sur lui même, il semblait souffrir, il criait, il le suppliait d'arrêter mais le gamin ne bronchait pas, il continuait de le fixer. Il était secoué de violentes secousses comme s'il convulsait et des brulures apparaissaient sur sa peau. Il se mit à suffoquer, il tomba à genoux, à terre, comme incliné devant l'enfant. Celui-ci se calma et respira plus lentement, il jugeait en avoir assez fait. Une migraine venait de lui prendre à la tête comme si une armée d'abeilles avaient élus domicile en son crâne. Il avait la tête qui tourne. L'homme avait terriblement souffert mais il était encore en vie et c'est tout ce qui comptait pour l'enfant, qu'il soit en vie, qu'il puisse se rappeler de chaque minutes de sa vie, qu'il souffre encore et toujours. La colère avait disparu. Il se pencha de nouveau vers sa mère, déposa un baiser sur son front, à présent glacial. Il nicha à nouveau sa tête contre le corps de celle-ci et se remit à pleurer malgré lui. C'était la dernière fois qu'il sentait son doux parfum, qu'il touchait sa peau. L'assassin de sa mère se trouvait toujours derrière lui, il suffoquait encore. Puis sa respiration se fit plus faible, l'homme qu'il n'appellerait désormais plus jamais son père était en train de lâcher prise, il allait mourir. L'enfant ne ferait rien pour l'en empêcher, il avait souhaité le garder en vie pour qu'il se souvienne de cette nuit mais s'il devait partir maintenant, il ne le retiendrait pas. Ce serait un poids de moins dans sa vie, un enfoiré en moins sur cette planète.

A bout de force, vidé de toute énergie. L'enfant était affalé sur le corps de sa mère. Peu à peu, il se sentit partir, lentement. Dans un dernier souffle, il chuchota : « Au revoir maman... ». On entendit une sirène retentir. Puis plus rien.