Médicomage était l'un de ces métiers qui implique parfois de bosser le week-end, Caleb le savait bien. Il en avait fait des heures en plus de quinze années de carrière. Appréciant son travail et n'ayant pas une vie bien rangée en dehors, il avait certainement passé plus de temps à l'hôpital que chez lui où en dehors. Il avait commencé simple interne et était maintenant un médicomage reconnu et dirigeait son propre service. Voilà qui pouvait alors expliquer le vide intersidéral dans sa sphère privée. Pourtant, les véritables raisons de ce désert affectif étaient bien ailleurs. Il aimait le célibat. C'était l'une des plus grandes explications. Il aimait faire son job, ne pas avoir de contrainte en rentrant, se dire qu'il pouvait rentrer en pleine nuit, s'allumer une clope, se boire un bon scotch tout en écoutant de la musique plutôt fort. Il aimait son appartement en désordre et poussiéreux par endroit, légèrement dans la pénombre, sans âme qui vive si ce n'est lui, dans un silence des plus salvateur lorsqu'il ne mettait pas le vieux tourne disque moldu en route. Il aimait aussi sortir le soir, finir dans un lit inconnu et le quitter au petit matin ou en pleine nuit, avant que l'autre ne s'éveille. Les fois où il avait amené une fille ici étaient rares, presque inexistantes à vrai dire. C'était son univers, il le gardait jalousement pour lui, son seul havre de paix.
Il quitta son travail à 21h ce samedi là. Il n'était pas de nuit. Un collègue venait de prendre la relève. Lui avait un tout autre programme.
Depuis combien de temps n'avait-il pas vu Ezra ? Impossible à dire. La vie défilait trop rapidement depuis quelques temps. Caleb n'était pas homme à avoir beaucoup d'amis, mais il croyait pouvoir dire qu'Ezra en faisait parti. A sa façon. Il était de ceux avec qui Caleb passait des soirées à l'extérieur, à boire et fumer plus que de raison et à flirter. Ce type était pourtant bien plus jeune que lui mais ils semblaient tout deux partager la même philosophie de vie. Les grands philosophes auraient dit « Carpe Diem » en parlant d'eux. Pas d'attache, pas de contrainte. Du moins, ils essayaient de ne pas s'attacher plus que ce que la société sorcière imposait déjà. Rien que le fait de travailler était une attache, l'obligation de se rendre au travail, de rendre des comptes... Autant ne pas s'en ajouter avec une famille.

Il avait contacté Ezra la semaine dernière à Poudlard, lui proposant une escapade de plus.
Il se souvenait encore de leur rencontre. Ils s'étaient retrouvé dans le même bar à draguer la même fille qui de toute évidence s'était bien amusée avec eux puisqu'ils avaient découvert à leur dépend qu'elle aimait les femmes. Alors qu'ils étaient là tous les deux, à danser d'un pied sur l'autre, l'un mettant en valeur sa jeunesse et l'autre son expérience, elle s'était joué d'eux jusqu'au bout pour finalement détruire tout espoir juste avant de les congédier. Voilà qui ne pouvait que les rapprocher. Ils avaient passé la fin de soirée à rire de la situation et surtout à se chamailler sur la fameuse question qui les tourmenterait à vie : Si elle avait aimé les hommes, lequel d'entre eux aurait-elle choisi ? Depuis ce jour, c'était presque devenu leur rituel, leur jeu favori. Séduire. Montrer pour l'un que sa jeunesse n'était pas synonyme de manque d'expérience et pour l'autre que son âge avancé n'était pas synonyme de perte de vigueur. Autant dire qu'ils ne s'ennuyaient jamais.
Ils avaient rendez-vous à 22h dans une des boites de nuit de Londres. Ce qui ne lui laissait que quelques minutes pour rentrer chez lui, prendre une douche et s'habiller. En soi, c'était largement suffisant, Caleb n'était pas du genre à sortir le costume. Il enfila un simple jean troué, surmonté d'une chemise en tout aussi mauvaise état et se parfuma légèrement. Une paire de grolle en cuir fatigué habillerait ses pieds et une simple étole lui couvrirait le cou. Il prit pour seuls objets, ses clefs, son porte-feuille et sa baguette qu'il dissimula contre le bas de sa jambe. Il avait vu de nombreux moldu faire cela et trouver l'idée plutôt maligne. Il détestait l'avoir dans sa veste ou devoir porter une cape. C'était si contraignant.

Il quitta son appartement luxueux mais poussiéreux vers 21h45 et fila à pieds vers la fameuse boite. Il n'habitait pas très loin du centre le plus actif de la ville de Londres et heureusement car il n'était jamais très frais lorsqu'il venait à en sortir.
Il entra dans la boite et se posa au comptoir. Il commanda un rhum, connaissant assez le gamin pour ne pas l'attendre. Ce dernier pouvait avoir un heure de retard et ne pas s'en excuser. Caleb aimait cela aussi chez lui. Pas de justification. Une relation amicale simple, sans compte à rendre.
Une fois servi, il se saisit de son verre et s'adossa au comptoir, observant la salle et la piste de danse à la recherche d'une jolie femme.

Ce samedi-là, les choses s’annonçaient plutôt bien. La semaine précédente j’avais reçu une lettre de Caleb, m’invitant, encore une fois, à nous faire une virée quelque part. Avec nous, ces virées-là se résumaient souvent à trois choses : Clopes, alcool, drague. Enfin, la première était davantage pour lui que pour moi, je ne touchais que rarement au tabac. J’avais bien sur accepté, plus que partant. Lui et moi, on se comprenait, on avait la même vision des choses, les mêmes attentes par rapport à la vie. Il avait beau être nettement plus vieux que moi, je savais qu’il pensait comme moi. A partir du moment où on respire, c’est notre vie, et c’est à nous de la vivre. Et pour s’éviter de devoir la vivre pour les autres, on en profitait au maximum, restreignant nos contraintes à quelques petites choses. Le boulot. Et depuis peu, pour moi -enfin, partiellement-, ma copine. Pourquoi partiellement ? Parce que le fait d’être avec elle ne m’empêchait en aucun cas d’aller m’amuser un peu ailleurs. Je savais que la plupart des personnes ne toléraient pas un comportement comme celui-là. Pourtant, même si je n’en avais pas parlé à Caleb, quelque chose me disait qu’il comprendrait. Peut-être qu’il ne cautionnerait pas, mais il comprendrait.

Rien à l’origine n’aurait pu prédire qu’on allait devenir amis, lui et moi. En fait, c’était même le contraire. Mais quand on s'est retrouvés tous les deux en « compétition » pour une nana qui était homosexuelle, les choses ont tourné. Ce soir-là, on avait fini par discuter, gravant dans notre esprit cette petite histoire comme étant un bon souvenir dont on pouvait encore rire. Elle s’était totalement foutue de nous, mais si nous avions perdu une conquête d’un soir, nous y avions gagné bien plus. Parfois, il nous arrivait de nous demander qui aurait fini avec si elle n’avait pas été lesbienne. Et cette question avait motivé un jeu entre nous. C’était à celui qui finirait avec le plus de coups d’un soir -avouez que ça m’aide pas à rester fidèle. Jusque-là, le ratio était assez bon. Nos âges respectifs avaient leurs avantages et leurs inconvénients, et il fallait lutter pour combler nos failles, pour prouver qu’on pouvait surpasser l’autre. C’était une concurrence réelle. Et pourtant, ça n’influait en rien sur notre relation, sur notre amitié. Parce que ça n’était qu’un jeu.

Tout ça pour dire que, en me levant ce samedi-là, j’avais un sourire jusqu’aux oreilles. J’avais passé une bonne partie de la journée à voyager pour me rendre à Londres, et une fois arrivé, j’avais commencé à flâner dans les rues, arrivé trop tôt pour notre escapade. Caleb n’avait pas encore fini de travailler, je le savais, aussi avais-je décidé de profiter des quelques heures que j’avais devant moi pour m’amuser un peu. Londres était si différente de Nottingham… Pourtant, les filles restaient globalement les mêmes. J’avais fini par draguer un peu pour faire passer le temps, sauf que je l’avais un peu trop fait passer sans m’en rendre compte. Lorsque je regardais l’heure, il était 22h passées, et depuis un bon bout de temps. Il était même plutôt près de 23h. J’avais largement dépassé l’heure. Abandonnant là la nana qui s’apprêtait à me faire une proposition qu’en temps normal je n’aurai pas refusée, je filai vers la boite de nuit où Caleb m’avait donné rendez-vous. Depuis le temps, je savais parfaitement comment m’y rendre, même si je n’étais pas du coin. J’aurai été incapable de diriger un touriste dans cette foutue ville, sauf s’il voulait se rendre dans cette boite. Et si c’était une touriste, j’aurai même été ravi de lui payer un verre. En arrivant, le videur qui avait l’habitude de nous voir me sourit, et me laissa rentrer, jetant tout juste un coup d’œil à la manière dont j’étais fringué, histoire de ne pas faire de gaffe en me laissant passer si j’avais eu la bonne idée de faire preuve de mauvais goût. Les gens commençaient à envahir la boite, et si je ne connaissais pas Caleb et ses habitudes, j’aurai peut-être eu du mal à le trouver. Me dirigeant vers le comptoir, je finis par mettre la main sur lui. A son regard, je savais qu’il se cherchait une proie. Evidemment, j’avais du retard, il n’allait pas m’attendre pour s’éclater. Arrivé juste à côté de lui, je me commandai un sky, puis me tournai pour pouvoir discuter. « Hey ! Alors, ça va ? Tu le sens bien pour ce soir ? » Je jetai un coup d’œil vers la foule, prêtant, bien entendu, plus d’attention aux femmes qu’aux hommes. Je récupérai mon verre qui venait tout juste d’être posé sur le comptoir. « Ouais, ça s’annonce pas trop mal. » Certains amis iraient parler de leur journée respective, de leur famille, ou autres. Nous, on ne s’encombrait pas de tout ça. Parler boulot, ça nous gavait. La famille n’était même pas un sujet de discussion envisageable. Le reste, on s’en foutait. Alors on enchainait directement sur ce qui nous importait. Pas de cérémonie, ça aurait alourdi notre amitié. Nous n’avions pas besoin de ça.

Caleb qui était lui arrivé bien à l'heure dans la boite de nuit ne fut pas surpris de voir débarquer Ezra avec seulement une petite heure de retard. Caleb, pourtant ponctuel, ne lui en voulait pas, ce n'était pas un rencard, encore moins un rendez-vous avec tout ce que ça comporte de formalité. Entre eux peu importait l'heure, peu importait le temps passé ensemble, pourvu qu'ils se voient de temps en temps pour passer un bon moment. De surcroit, il n'était pas homme à s'ennuyer seul. Il savait se divertir. Ses simples pensées, tout ce qui pouvait lui passer par la tête était bien souvent source de distraction. Ses yeux et ce qu'ils pouvaient capter faisaient le reste. Il y avait eu ce type complètement ivre qui, malgré lui peut-être, devenait de plus en plus lourd avec une jeune fille qui de toute évidence n'avait aucunement l'intention de faire quoi que ce soit avec lui. Elle l'avait doucement remercié d'abord mais sans succès. L'homme ivre est tenace ou plutôt complètement stupide. Il avait alors insisté, elle s'était énervé quelque peu avant de tenter de partir. L'ivrogne l'avait retenue par le bras et tentait de l'embrasser. Ce contre quoi elle s'était défendu avec ses petits bras maigrichons avant de réussir à le gifler. Plus surpris que sonné, il s'était écarté légèrement, juste de quoi permettre à la jeune de se saisir d'un verre sur le bar et d'en asperger le visage de son lourdeau de dragueur. L'alcool lui avait brûlé les yeux et remit les idées en place quelques secondes. Secondes que la dite jeune fille put mettre à profit afin de s'enfuir. Caleb crut bien que l'ivrogne qui, à présent il en était sûr, ne devait pas sa stupidité qu'à l'alcool, allait de nouveau rattraper la jeune femme effarouchée. Par chance, un de ses amis encore clair vint l'arrêter avant qu'il n'aille trop loin. La jeune fille put s'enfuir. Caleb la vit quitter le lieu. Celle là ne reviendrait pas de si tôt. Ce genre de scène divertissante n'était pas rare ici. Ajoutez à cela, les bastons, les chutes inopinées, les vomissements ou course au toilette, et vous aurez l'ambiance général d'un tel lieu. L'ambiance pessimiste cependant. Car d'un autre côté, il y avait des filles à moitié nues dansantes sur la scène et recueillant des billets d'hommes échaudés, il y avait la fumée ambiante dans laquelle, Caleb, plutôt expérimenté, pouvait distinguer les effluves de simple tabac à celles chargées d'une autre forme de douceur apaisante.

Il trempait une nouvelle fois ses lèvres dans le liquide ambré lorsqu'il vit enfin celui qu'il attendait à ses côtés. Il le salua. Il ne lui demanda rien d'autre que de donner des pronostic sur la réussite probable de la soirée. Ezra jeta alors un œil à la salle et but à son tour dans son verre de sky. La soirée ne faisait que commencer. L'alcool coulerait à flot et ils devaient commencer à observer. Caleb avait pris de l'avance, peu sérieusement cependant.
« Hum... Je n'ai pas encore trouvé mon bonheur, mais je ne perds pas espoir, tu me connais je suis difficile. » Fit Caleb à son tour en cherchant son paquet de cigarette dans sa poche. Il en sortit une et posa le paquet sur le comptoir près de son verre vide à présent. Il porta la cigarette à ses lèvres et l'alluma, inspirant les premières volutes salvatrices. Il jeta un œil par dessus son épaule pour commander un nouveau verre et revint vers la salle.

« La femme sur le fauteuil rouge, à 10h, elle t'a observé longuement quand tu es entré. Interdiction de la choisir elle, ce serait trop simple. » Fit-il avec un léger sourire. Le jeu était lancé, ou du moins, Caleb venait d'affirmer sa volonté de jouer cette nuit. Il tira une nouvelle fois sur sa clope et s'accouda sur le comptoir en cherchant des yeux celle qui pourrait bien lui donner envie de séduire encore une fois ce soir. Trouver l'agneau avant de prétendre être un loup.