Eva réprima une grimace en voyant la jeune brune s’avancer vers elle d’un pas décidé, un sourire carnassier sur le visage. Voilà les soucis qui arrivaient. Il fallait quand même reconnaître que son espionnage n’était pas des plus discrets, mais cette fille l’intrigait. Elle se demandait comme une fille si hautaine pouvait appartenir à sa famille. En fait, elle se demandait comment sa propre mère pouvait être d’origine noble. Ce qu’Eva avait connu de sa mère, c’était une femme plongée dans la drogue, à la limite de la schyzophrénie, et plutôt désespérée. Il y avait ces moments où elle lui faisait des câlins, l’appelait « ma petite princesse » et jouait avec elles, puis toujours, la retombée, où elle restait enfermée dans sa chambre à pleurer toute la journée. D’un côté, Eva lui en voulait parce qu’elle ne s’était jamais occupée d’elle comme une mère devrait le faire, mais de l’autre elle l’avait vraiment aimée. Malgré son comportement, malgré sa souffrance, Eva n’avait jamais détesté sa mère. Au contraire, son absence se faisait sentir de plus en plus au fil des années. Elle avait toujours pensé qu’elle aurait aimé connaître ses grands-parents, que sa mère avait toujours refusé d’évoquer, pour parler d’elle avec eux, pour avoir le sentiment d’avoir une famille. Mais s’ils appartenaient à une telle famille, elle préférait ne rien avoir à faire avec eux. De toute façon, ils n’accepteraient sûrement jamais de la rencontrer. Après tout, c’était une fille d’ouvriers sans beaucoup d’éducation. Elle n’était pas attirée par les dîners mondains et la vie en société, elle voulait juste s’amuser et essayer de réussir sa vie.

Lily-Rose arriva à son niveau, visiblement d’humeur assez énervée. A ses paroles, Eva haussa un sourcil. Cela faisait bien longtemps qu’elle avait cessé d’être impressionnée par les autres. Il lui était arrivé plusieurs fois de se battre avec d’autres filles, que ce soit avec sa baguette ou ses mains. Alors elle riait au nez de la petite bourgeoise qui pensait lui faire peur. Soit, Lily-Rose n’était probablement pas la meilleure ennemie à avoir. Mais Eva n’était pas du genre à se faire marcher sur les pieds. Elle était plutôt colérique et n’aimait pas qu’on ne le prenne pas au sérieux.
Elle faillit lui retourner une gifle quand la jeune femme s’accroupit devant elle et passa son doigt sous son menton.

« Déjà, tu ne me touches pas. »

Elle planta son regard dans les yeux de Lily-Rose. A vrai dire, elle ne savait pas vraiment comment réagir face à elle. Elle ne s’attendait pas à la confrontation, elle n’avait pas réfléchit à ce qu’elle pourrait lui dire le jour où la jeune femme en aurait assez. Et ce jour était arrivé. Mais elle n’allait pas lui répondre « oh on est cousines c’est tout ». Elle s’imaginait bien à quel point ce serait honteux pour une fille de son sang de se découvrir une cousine pauvre et loin d’être noble. Eva n’était pas tout à fait le genre de fille qui s’adaptait à ce genre de milieu, et elle était loin d’en avoir envie.

Il lui semblait que si elle l’ignorait, la jeune femme risquait de sérieusement s’énerver. Eva avait bien considéré l’option de se lever et de partir mais c’était une mauvaise idée. Elle n’avait pas envie de recevoir un sortilège mortel non plus.

« Tu m’intrigues, c’est tout. »

« Tu te fiches de moi ? Tu penses sérieusement que je vais repartir satisfaite de cette réponse ?»

Eva n’avait pas tout à fait satisfait la jeune femme, visiblement. Il fallait reconnaître que sa réponse était des plus vagues. Elle avait cette mauvaise manie d’éluder les choses ou d’éviter les sujets qui la dérangeaient, et cela agaçait les gens. Mais elle n’aimait pas devoir se justifier. En fait, elle avait tendance à ne pas supporter les questions en général. Elle parlait quand elle en avait envie, mais pas lorsqu’on le lui demandait. L’air inquisiteur et haineux de Lily-Rose commençait à sérieusement l’irriter. Eva n’était pas des filles les plus gentilles, mais elle avait un sérieux problème avec les gens détestables. Elle avait beau prendre parfois les gens de haut, elle ne supportait pas que l’on fasse de même avec elle.

Le rire moqueur que la jeune femme laissa échapper énerva encore plus Evangeline, qui se leva pour lui faire face. Elle ne pouvait sérieusement pas croire qu’elle partageait le même sang que cette garce. Elles étaient bien trop différentes pour avoir le moindre lien de parenté. En tout cas, elles étaient très loin du stade où elles passeraient des vacances ensemble au bord de la mer en mangeant des glaces et en discutant de garçons. L’ambiance serait plutôt à la magie noire et aux potions mortelles visiblement.

Lily-Rose réitéra un de ses sourires hypocrites et cruels à l’attention d’Eva. Elle semblait vouloir réellement sa réponse. Si elle avait su qu’elle ne s’en tirerait pas tranquille, elle aura cessé d’épier la jeune femme. Quoiqu’elle en était probablement incapable, car lorsqu’Eva s’intéressait sérieusement à quelqu’un, elle avait du mal à le faire de façon discrète. Ainsi, tous les garçons qui lui avaient plu l’avaient su presque instantanément. Au début, elle n’avait pas supporté la transparence de son comportement, mais elle s’était rapidement rendu compte que ça pouvait être un atout dans certains cas. Son intérêt pour eux jouait un grand rôle, comblant leur envie de plaire, et le charme d’Eva s’occupait du reste. Toutefois, dans la situation présente, elle aura préféré que cela ne se remarque pas. Elle n’aimait pas particulièrement la confrontation, et son adversaire n’était pas des plus agréables. Elle aurait voulu s’en tirer sans la moindre explication mais il lui semblait, au regard qu’elle lui jetait, qu’elle la tuerait si elle faisait le moindre geste de fuite.

Eva envisageait toujours le fait de s’en aller et de laisser en plan la jeune femme qui l’agaçait réellement, lorsque celle-ci sortit sa baguette, son sourire parti. Elle ne put retenir un geste de recul. Elle n’avait pas envie d’une confrontation orale, mais encore moins de sortilèges. Tandis que la réputation de la fille Davenheim la mettait au niveau de menace, Eva n’était pas reconnue pour son talent en sortilèges. Elle n’avait jamais montré un intérêt particulier pour la magie – c’est pour ça qu’elle avait décidé d’étudier les lettres. C’était beaucoup plus à son niveau. Elle ne se sentait absolument pas de taille face à la jeune femme, et d’ailleurs, n’avait vraiment pas la moindre envie de devoir se défendre.

« Wow calme-toi, c’est pas la peine d’en arriver là pour si peu hein, fit-elle en fronçant les sourcils. Disons que j’ai découvert des choses sur toi, auxquelles je ne m’attendais pas. »

Il sembla à Eva qu’il ne valait mieux pas s’en arrêter là sous peine de mourir froudroyée par le regard que lui lançait la jeune femme. Elle passa une main dans sa chevelure blonde, faisant la moue.

« Dis-moi Davenheim, qu’est-ce que tu connais à propos de la famille de ta mère ? »

Lorsqu’Eva annonça à la jeune femme qu’elle avait appris des choses sur elle, cette dernière fut soudainement prête à lui lancer un sortilège, la baguette tendue. Avait-elle des choses à cacher ? Sa réaction était étrange ; elle n’était pas réputée pour son bon caractère, mais même la fille la plus colérique au monde ne s’énerverait pas pour si peu. C’était une piste à explorer. Enfin, elle remettrait cette exploration à plus tard, car pour le moment la jeune blonde était plutôt apeurée par Lily-Rose, même si elle ne le montrait pas. Un combat à mains nues ne l’aurait pas dérangée, loin de là – que la jeune fille soit sa cousine lui importait peu. Mais elle savait bien que l’ancienne Serpentard pourrait lui infliger n’importe quel sort sans qu’elle réussisse à se défendre. Elle ne savait même pas où était sa baguette, probablement perdue au milieu de ses affaires. Elle fit un geste vers son sac, par réflexe. Toutefois, Lily-Rose abaissa sa baguette au moment même où Eva évoqua sa famille. Comme quoi, le sujet n’était pas très important pour elle…

Eva la fixa d’un air perplexe, alors qu’elle rangeait sa baguette et lui montrait son désintérêt pour la chose, d’un air blasé. Elle n’en avait donc strictement rien à faire. Elle ne semblait absolument pas tenir à sa famille. Etrange, Eva avait toujours pensé que chez les nobles, cela était une des valeurs principales ; en tout cas elle avait maintes fois entendu ce genre d’inepties. Personnellement, sa famille – ou plutôt le reste de famille que constituait son père – la débectait au plus haut point. Elle ne pouvait donc que comprendre Lily.

Celle-ci tourna les talons, après lui avoir jeté un regard hautain. Il ne leur restait donc plus qu’à partir chacune de leur côté ? Pourtant, Eva ne voulait pas s’arrêter loin. Elle aurait pensé que la jeune femme se serait montré plus intéressée que ça. Et maintenant, elle mourrait d’envie de tout lui raconter. Après tout, elle n’en pouvait plus de l’épier sans rien lui dire. Même si elle n’en aurait probablement rien à faire d’apprendre l’existence d’une cousine, autant qu’elle soit au courant.
Eva la héla, sans bouger d’un centimètre.

« Ca ne t’intéresse donc pas ? Je ne savais pas que tu étais à ce point égocentrique. »

Elle ne pouvait s’empêcher de la provoquer. Après tout, la brune lui avait manqué de respect, à lui pointer sa baguette dessus et menacer de lui lancer un sort. Eva avait du mal avec les menaces, ainsi qu’avec les filles qui se croyaient supérieures à tout. Mais elle ne souhaitait pas la voir se retourner et l’assassiner d’un coup de baguette, donc elle enchaîna avant que Lily-Rose ne réponde.

« Bref, passons, fit-elle plus calmement. Sur les nombreux arbres généalogiques qui tapissent probablement les murs de ton manoir familial, j’imagine que tu n’as jamais vu une certaine Hayden ? Qui serait sœur avec ta mère – Sarah c’est ça ? – plus précisemment. »

Elle espérait avoir éveillé l’intérêt de la jeune femme, qu’elle ne pouvait déjà pas supporter. Eva attrapa quand même du bout des doigts sa baguette au fond de son sac, au cas où. Elle n’avait aucune idée de la façon dont réagirait sa cousine – quel mot étrange – et préférait prendre ses précautions. Même si elle savait pertinemment que la Davenheim était bien plus talentueuse qu’elle en magie. Elle se sentait quand même plus rassurée à l’idée d’avoir de quoi se défendre.

Eva adopta un sourire satisfait lorsque la jeune femme revint sur ses pas. Elle avait donc enfin éveillé son intérêt. Elle attendit que la brune arrive à son niveau, les bras croisés, un sourire toujours sur les lèvres.

Aux paroles de Lily-Rose, elle laissa échapper un ricanement. Comme quoi, il y avait vraiment des arbres généalogiques qui tapissaient les murs. Mon Dieu. Jamais Evangeline ne comprendrait les familles riches. Quelle idée d'être aussi attaché à son sang. Elle comprenait très bien pourquoi sa mère n'avait jamais évoqué le reste de sa famille, au delà du fait qu'elle s'en était faite chasser. Après tout, sa mère n'avait pas un caractère très différent du sien, et Eva aurait probablement eu le même comportement d'opposition arrivée à l'adolescence. Elle n'aurait jamais accepté d'être élevée comme une petite princesse pourrie gâtée. Certes, avoir de l'argent était un avantage notable. Mais être aussi égocentrique et hautain ? Et se voir promettre un fiancé ? Quelle horreur. Elle préférait sa liberté, bien qu'elle sache qu'elle avait eu beaucoup de chance de ne pas mal finir. S'il n'y avait pas eu Poudlard, les choses se seraient probablement déroulée différemment. Lorsqu'elle voyait ce qu'étaient devenus les enfants avec qui elle jouait en primaire, elle était bien contente d'être à l'université.

« Peut-être que si tu t’étais intéressée plus à elle, tu aurais appris bien des choses, qui sait… », fit-elle en détournant le regard d’un air désinvolte.

Lily-Rose avança vers elle jusqu’à ce que son visage ne se trouve plus qu’à quelques centimètres de celui de la jeune blonde. Elle ne pu empêcher encore un geste de recul, alors que la Davenheim tournait son visage autour du sien. Elle la stressait vraiment, avec ses manières inquisitrices. Eva pouvait bien voir que le cerveau de Lily-Rose fonctionnait à toute allure, lorsqu’elle rompit le silence en la fixant dans les yeux. Ah, elle avait donc compris. Intelligente comme fille.

Eva fronça les sourcils aux mots que Lily-Rose prononça sur sa mère, en s’éloignant d’elle. Il devait y avait des histoires de famille assez complexes. Cette fois-ci, c’est la curiosité d’Evangeline qui fut aiguisée. Elle s’apprêtait à formuler une question indiscrète mais la jeune femme reprit la parole, un air blasé sur le visage. Après un moment de silence, Eva applaudit légèrement en agitant la tête.

« Bravo, quel sens de la déduction, je suis impressionnée, fit-elle avec une once d’ironie. Alors comme ça, tu n’en avais jamais entendu parler. On garde bien les secrets chez les Davenheim. Ca aurait déçu ma mère, d’être si facilement oubliée. »

Elle ne pensait pas un traitre mot de cette dernière phrase, sachant bien que sa mère n’avait été que libérée du poids que constituait sa famille, qui s’était d’abord opposée à ce qu’elle quitte Poudlard, ce qui était une première rupture, puis à son mariage, coupant alors tout lien restant entre eux. Toutefois, si elle avait un jour l’occasion de croiser cette partie de sa famille, dont ses « grands-parents », elle ne manquerait pas d’exprimer tout le mépris qu’elle avait pour eux. Ils ne s’étaient jamais manifestés, ni pour la naissance d’Eva, ni pour la mort de sa mère. Peut-être n’en étaient-ils même pas au courant. Quoique, ils devaient quand même avoir des informateurs un peu partout, non ?

Eva passa une main dans ses cheveux, une question lui brûlant les lèvres. Les paroles de Lily-Rose avaient éveillé sa curiosité. Elle formula sa question, cherchant les bons mots.

« Quand tu parles de ta mère… Elle a fait quoi de spécial, qui te fait parler d’elle de cette façon ? »

Elle se doutait bien que la jeune femme l’enverrait sur les roses mais elle détestait les questions non posées. Et elle détestait encore plus ne pas avoir de réponses à ses questions, mais après tout, elle ne pouvait pas contrôler ce dernier point.