« Aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction. »

Béatrix. Pour faire honneur au personnage de la Divine Comédie et à celui d'Honoré de Balzac, Ekaterina et Konstantin Thorne donnèrent ce nom, fortement connoté, à leur progéniture. Tous deux sorciers, ils espéraient qu'elle soit leur digne héritière. Riches comme Crésus, le couple Thorne résidait dans un superbe manoir retiré dans la campagne bulgare. Une magnifique demeure inspirée des imposants manoirs anglais du XVIIIe siècle. Une bâtisse à colonnades, un immense palier sous un porche de marbre, une façade de pierres rouges. Une maison qu'à des lieux à la ronde, chaque agriculture connaissait. Mais, malgré une maison et un coffre à la banque qui attiraient bien des envieux, monsieur et madame Thorne, mariés très tôt, n'étaient pas heureux. Pas d'enfants pour égayer cette vieille maison de famille, pas de rires ni de cris pour y apporter un semblant de vie. Certes ils s'aimaient. Mais il manquait quelque chose, pour que leur vie soit parfaite. Puis vint la grossesse d'Ekaterina et la venue au monde de Béatrix, dont le deuxième prénom fut celui de sa grand-mère maternelle, décédée deux jours avant, Arabella. Comment sa vie avec le prénom d'une morte, un bien funeste présage, pour des gens si superstitieux. Pourtant, le prénom de sa grand-mère décédée ne fut jamais un poids pour Béatrix, jusqu'à ses vingt ans. Mais nous y viendrons plus tard.

L'enfance de Béatrix fut, jusqu'à ses huit ans, un véritable conte de fées. Imaginez la fille unique d'une riche famille aux parents aimants... L'amour revint vite, entre Ekaterina et Konstantin, mais un amour bien particulier. Ils mettaient la citation de Saint-Exupéry à l'épreuve, appliquant l'exact opposé. En effet, chaque décision qu'ils devaient prendre pour l'éducation de Béatrix, était contraire à celle de l'autre. Ils ne parvenaient à s'accorder, que lorsque leurs yeux tombaient sur leur petite. Mais lorsqu'elle n'était pas présente, la prise de décisions se révélait difficile, voire impossible. Mais Béatrix fut heureuse. Comblée comme une princesse, elle ne fut pas pour autant l'incarnation d'une poupée blonde pourrie gâtée. Pourtant, ô combien ses parents auraient désiré une enfant exigeante, capricieuse et hautaine. Mais il n'en fut rien. La joie de vivre, la légèreté, le naturel, tels étaient les attributs de la petite Béatrix. Bien différente des deux personnages de la littérature que ses parents auraient souhaité la voir incarner.

Sa vie bascula, l'année de ses huit ans. Un beau matin, ses parents lui annoncèrent qu'elle allait avoir un frère. Un inconnu, chez eux. Au début, l'idée même de vivre chaque jour à venir avec un inconnu, glaçait le sang de la petite. Mais elle se fit vite à l'idée réjouissante qu'elle aurait enfin un compagnon de jeu. Ce fut bien différent. Le jeune garçon prénommé Dante - quelle ironie, Béatrix & Dante réunis - était à l'opposée de son caractère. Taciturne, renfermé, noir. Mais sa vie chez les Thorne sembla lui redonner le sourire. Et Béatrix, avec sa joie de vivre, sa bonhomie, son sourire, s'y employa.

Puis vinrent les lettres pour leurs écoles. Ekaterina et Konstantin, même s'ils venaient tous deux de l'est et d'une éducation très stricte et sexiste, étaient tous deux progressistes et à ce titre, n'envisageaient pas que leur fils ait accès à l'éducation, et pas leur fille. C'est ainsi que Dante reçut son hibou de Durmstrang, Béatrix son hibou de Poudlard. Les deux jeunes gens se firent leurs adieux et prirent chacun une direction opposée. Dès cet instant, ils ne se virent plus beaucoup. Aucun des deux ne rentra pour les vacances et, même si l'été aurait pu les voir réunis, Ekaterina et Konstantin insistaient pour qu'ils partent à l'étranger, apprendre de nouvelles langues et de nouvelles cultures. Pour éviter qu'ils ne parlent tout le temps bulgare, ils furent séparés et envoyés chacun à un bout du monde, tous les étés. Béatrix partit en Australie, l'été de ses douze ans ; en Afrique du Sud, celui de ses treize ans ; au Brésil, l'été de ses quatorze ans ; au Portugal, celui de ses quinze ans et l'été suivant, elle s'installa chez sa tante maternelle, Anna, à Londres. Ainsi, elle était plus proche de son école, sans pour autant couper le lien avec sa famille.

Et puis vint ce jour où de sombres nuages vinrent obscurcir son ciel bleu. Le jour où ses parents devinrent des meurtriers. Elle savait, car Dante lui en avait parlé, qu'il voulait épouser Sylviana. Béatrix l'avait même rencontrée ! Dante le lui avait proposé et la jeune femme était venue jusqu'à Londres, dans le café où Béatrix travaillait, pour qu'elles se rencontrent et discutent. Sylviana lui avait aussitôt plu. Elle avait hâte au mariage, de pouvoir être demoiselle d'honneur dans une jolie robe, d'apporter les anneaux nuptiaux à son frère et sa future belle-soeur. Mais rien ne se passa comme prévu. Elle l'apprit une semaine plus tard par sa tante. Sa mère avait fait assassiner Sylviana. Et pire, Ekaterina avait pointé sur elle l'une des baguettes qui lui avait enlevé la vie. C'en fut trop, pour la jeune Bulgare. Elle savait que ses parents n'étaient pas des anges, mais aller jusqu'à croire qu'ils pouvaient enlever la vie pour une bête histoire de sang, elle ne pouvait le supporter, ni l'accepter. Sa mère et son père eurent beau essayer de s'expliquer, de se justifier, rien n'y fit. Béatrix coupa les liens, leur stipulant clairement qu'elle ne voulait plus jamais entendre parler d'eux. Désormais majeure, selon la loi magique, elle s'installa définitivement chez sa tante, avant de pouvoir s'acheter un appartement dans la banlieue de Londres, l'année de ses vingt ans. Depuis ce tragique accident, elle n'a plus aucune nouvelle de Dante. Elle ignore même s'il est en vie. Elle a entendu qu'il serait sur le campus de l'université, mais cela a beau faire cinq ans qu'elle s'y promène, elle ne le voit pas. Peut-être n'est-elle pas capable de le reconnaître ? Et peut-être lui, n'a-t-il pas envie d'être reconnu ? Elle sait qu'il est là, quelque part. A elle de le retrouver, même si elle ne s'étonne pas qu'il ne la reconnaisse pas, si jamais ils se sont croisés. La dernière fois qu'ils se sont vus, ils avaient douze ans.

Et puis il y a Louis. Un jeune Français rencontré à Lisbonne, de qui Béatrix est tombée amoureuse. Et depuis bientôt sept mois, ils sont fiancés. Pourtant, Béatrix ne sait plus ce qu'elle doit faire. Elle veut, avant tout, retrouver son frère. Bien sûr, elle aime Louis, mais elle n'est pas certaine de vouloir s'engager dans le mariage. Quand on voit le résultat de celui de ses parents...