Le cours était d’un ennui déconcertant. Déjà, le professeur alliait avec brio aspect débraillé et voix monocorde avec agréments soporifiques. De quoi dégoûter n’importe quel élève normal. Sauf que, dans la salle… Il n’y avait pas que des élèves normaux. Il y avait également… Claire. Ce qui constituait son anormalité, plus encore que son physique tape-à-l’œil et ravageur, ou sa démarche de mannequin, ou son parfum quasiment dévastateur, ou… Heu… Ben ouais tout cela n’était rien comparé à son attitude en classe.

Elle usait de la plume comme un chevalier se servait élégamment de son épée, à croire qu’elle pratiquait cette activité comme sport. Ses parchemins, rangés minutieusement sur son bureau, croulaient sous les interminables lignes de notes qu’elle avait rédigées, offrant un contenu à la pointe de la perfection. C’était quasiment à se demander si elle n’était pas plus intéressée par le sujet que l’enseignant lui-même. Quoi que, dans ce cours-là, ça risquait de ne pas être bien compliqué étant donné l’inutilité explosive qui régnait dans ses paroles.

Mais Claire elle… Eh ben… Elle paraissait absorbée par les mots, par le cours en lui-même en fait. Jaden à mes côtés, sursauta même quand elle brusqua le silence de la classe pour faire une intervention spectaculaire en répondant à une question – qu’elle sembla être la seule à écouter- et qui devait certainement être d’une pertinence à couper le souffle. En fait je n’en savais rien, étant donné que j’étais captivé par la bataille de boulettes de parchemins que je menais férocement face à un élève de Poufsouffle. En tous cas, la réaction de mon meilleur ami me fit pouffer de rire et je ne pus m’empêcher de lâcher plusieurs commentaires. Habituellement, je me contentais de la railler sans trop pousser, mais aujourd’hui, mes mots étaient endurcis. C’était d’ailleurs assez bizarre en fait. Comme si quelque chose m’avait profondément énervé, et ce sentiment, je le ressentais depuis ce matin. Le petit-déjeuner en fait. Depuis que Jaden m’avait dit que « Miss Parfaite » fricotait avec un mec.

Mais non… Je ne voyais pas en quoi ça pouvait me déranger. Ce devait être le petit-déjeuner qui n’était pas spécialement bon, voilà la raison de mon petit énervement. Espérons que le repas de midi parvienne à rattraper cette tendance et me remette d’aplomb. La sonnerie retentit, signifiant donc la fin des cours. Je sortis de la salle, attrapant mon sac d’une main avant de me rendre compte que je ne l’avais même pas ouvert. Je souris en repensant à la table pleine de parchemins rédigés de Claire. C’était fou comme on avait changé depuis cette époque où nous étions toujours ensemble. On était désormais à la fois semblables et différents. Bien qu’elle, elle était loin d’être aussi parfaite que moi. De toute façon, qui pouvait être sur un pied d’égalité avec moi ? Peut-être Jaden certes… En tous cas, rien de réellement digne de rivaliser avec moi.

- Tiens mais qui voilà? Ne serait-ce pas ce cher Jake dont l'inexistence d'une quelconque forme de maturité n'est plus à prouver. Tu te crois malin à rallier ceux qui ont de l'avenir? Tes bêtises à répétitions commencent sérieusement à me lasser. Donc si tu ne veux pas passer un mauvais quart d'heure, excuse-toi tout de suite et peut-être que je passerai l'éponge...

La voix de Claire, bizarrement, m’arracha un sourire. Comme si j’étais heureux d’avoir une conversation avec elle. Pourtant, ce sentiment disparut bien vite quand je me rendis compte de la nature de son intervention. Elle était en colère ? La pauvre… J’eus du mal à m’empêcher de lui pouffer en pleine figure. En souvenir de nos relations passées, elle méritait tout de même un minimum de sympathie, et il fallait avouer que Claire occupait toujours une place à part pour moi. Je la traitais différemment, voire même avec plus de courtoisie que les autres. Et voilà ce que je recevais en échange ?! Un coup d’œil en arrière m’informa que Jaden et d’autres mecs regardaient la scène. Tsss. Manquait plus que ça.

- Ah et là… Ne serait-ce pas cette chère Claire dont l’existence d’une quelconque forme d’humanité n’est plus à prouver ?

J’avais repris les termes de sa première phrase en les ponctuant d’un petit clin d’œil moqueur. Cependant, je veillais à ne pas y aller trop fort. J’avais pour habitude de ne pas faire trop de mal aux filles. Ou plutôt les jolies filles. Je savais qu’elles discutaient entre elles et ce n’était pas le moment de me faire une mauvaise réputation. Quoi que… J’avais déjà une certaine réputation qui me précédait. Donc ce n’était plutôt pas le moment de ternir encore plus cette réputation de dragueur/jeteur. J’ajoutai alors.

- Tu parles d’avenir ? Ouais t’auras un super avenir comme secrétaire qui arrive à prendre des notes et à répondre aux questions. Génial. Et bon… Disons que ces « bêtises » comme tu dis, me permettent de me sentir vivant. Tu connaitras jamais ça toi puisque ce qui te rend vivant c’est l’odeur d’un bouquin moisi.

De toute évidence… J’avais décidé de passer un mauvais quart d’heure… C’était un choix comme un autre, de toute façon, elle m’avait énervé. Au lieu de me prendre à parti pour que nous discutions calmement, elle m’avait foutu la honte devant mes potes ! Fallait que je rattrape le coup, tant pis pour elle.

Claire ne comprenait pas pourquoi avec Jake, ils se disputaient tout le temps. Ces derniers temps, la situation n'avait cessé de se détériorer au grand dame de la demoiselle. Chaque fois qu'ils se croisaient, cela dégénérait en disputes et Claire n'y trouvait aucune satisfaction. Elle se devait pourtant bien d'admettre que c'était souvent elle qui provoquait le Gryffondor. Elle ne pouvait se retenir de lui faire remarquer que son comportement laissait à désirer : trop insouciant, trop fauteur de troubles, trop dragueur,... Cependant, sur ce dernier point, elle suivait elle-même cette tendance, collectionnant les garçons comme des jouets et s'en lassant très vite. Pourquoi alors, cela la dérangeait autant de voir Jake profiter du corps et du cœur de toutes ces jolies filles? Sans doute, parce que dans son cas, cela altérait sa concentration en classe. Même si jamais, elle ne l'admettrait ce n'était que des prétextes pour cacher sa jalousie. Elle aurait voulu que comme les autres, il soit à ses pieds.

Depuis leur arrivée à Poudlard, la relation qu'ils entretenaient étaient assez particulières. Arrivés ici en meilleurs amis, ils en étaient presque devenus les meilleurs ennemis aujourd'hui. Le changement avait été progressif et en fait, il n'avait pas su préserver leur amitié. Elevés pour ainsi dire ensemble, ils avaient tissé un lien si particulier, si intense que Claire l'avait cru indestructible. Pourtant l'adolescence les avait éloigné, comme si le sort avait voulu se jouer de ses croyances. Une première déception était venu abimer ses sentiments et ce, à peine un mois après son arrivée dans l'école de Magie. Cela aurait du être insignifiant mais elle avait vu naître entre Jake et sa cousine une amitié si complice, une complicité qui déjà alors se détériorait entre elle et Jake que la colère l'avait submergée. Déçue, elle lui en avait voulu de tisser si vite, si facilement des liens et elle, dans l'histoire, que devenait-elle?

Depuis lors, ils s'étaient de plus en plus éloignés. Leur maison respective les séparait. Mais surtout, ce fut l'évolution de leur caractère dans des directions si différentes qui les coupa l'un de l'autre. Claire devint une élève brillante et obéissante. Elle passait son temps à travailler et seulement, une fois tous ses devoirs et leçons terminés, elle s'octroyait le droit de s'éclater. De son côté, Jake était devenu un jeune homme dont l'amusement passait avant et qui ne se consacrait aux cours qu'à l'approche des examens ou dans un grand moment d'ennui. Pourtant, il réussissait, il semblait même heureux. Et elle Claire l'était-elle pas? Bien sûr quoique... Tant de souvenirs qui surgissaient aujourd'hui dans son esprit. Elle se sentait un brin mélancolique et pourtant elle n'aurait pas du. Pourquoi aujourd'hui? Parce qu'elle avait surpris la vieille cette conversation entre deux Poufsouffles qui se racontaient leur passionnante histoire d'amour (ou plutôt leur nuit torride) avec le beau brun.

- Moi inhumaine? Laisse-moi rire...

Claire ne se priva pour éclater d'un grand rire... rire légèrement forcé. La trouvait-il vraiment inhumaine? Si oui, grand bien lui fasse, elle n'allait quand même pas se mettre à se soucier de son opinion sur sa petite personne. D'ordinaire, leurs échanges étaient moins perfides mais d'ordinaire, elle poussait simplement sa beuglante et avait le tact de le lui dire seul à seul. Un sourire illumine ses traits et elle ne laissa rien transparaître des dilemmes qui l'habitaient. Toujours parfaite, toujours hautaine, toujours sublime, telle était l'image qu'elle devait véhiculer. Les paroles que le rouge et or prononça ensuite la mirent en colère : « Tu parles d’avenir ? Ouais t’auras un super avenir comme secrétaire qui arrive à prendre des notes et à répondre aux questions. Génial. Et bon… Disons que ces « bêtises » comme tu dis, me permettent de me sentir vivant. Tu connaitras jamais ça toi puisque ce qui te rend vivant c’est l’odeur d’un bouquin moisi ».

Sentiment de colère à voir la perception de son avenir qu'il avait : elle, une vulgaire secrétaire? Et puis, cet air méprisant qu'il prenait pour sous-entyendre qu'elle ne s'amusait pas, qu'elle était plus morte que vive. Elle le vrilla du regard, espérant qu'il comprenne qu'il allait trop loin. Apparemment, cela le dérangeait d'être ridicule devant les autres. Elle se tourna donc vers le petit groupe qui les observer les yeux ébahis. Non pas qu'elle voulait lui rendre service mais elle refusait de perdre son sang froid devant témoins, aussi ordonna-t-elle :

- Vous n'avez vraiment rien de mieux à faire que de vous mêler des affaires des autres? Je pense que si donc allez voir ailleurs si on y est...

En quelques secondes, le couloir fut désert et Claire se retrouva seule face à Jake. Elle prit quelques instants pour le détailler avant de lui répondre. Elle se devait de reconnaître qu'il se dégageait de lui une assurance et un sex appel terrible. Beau, il l'était assurément mais en plus, il possédait ce charme brut. Il dégageait une impression de force, de sécurité et Claire eut envie d'être protégée par ses bras. Cette idée lui traversa l'esprit juste quelques secondes qu'elle la chassa aussi vite. Elle laissa alors tomber d'une voix douce et calme :

- Sous-entendrais-tu que je sais pas m'amuser mon petit Jake? Que mon temps n'est consacré qu'aux livres? Tu te trompes, s'il y a bien une chose qui me fasse vibrer autant que l'odeur de « moisi », comme tu dis, d'un parchemin, c'est la chaleur d'un corps contre le mien...

Envie de provoquer, envie de choquer,... Elle voulait le voir pâlir, le voir défaillir mais surtout déstabiliser par ce qu'elle lui laissait entrevoir, ce que jamais elle ne lui accorderait car il était Jake et qu'elle était Claire, parce qu'ils ne pouvaient pas s'aimer, jamais... Elle se rapprocha de lui, très proche, trop proche. Elle voulait voir l'espoir de la posséder naître dans son regard, elle voulait qu'il regrette ses paroles, qu'il regrette cette distance entre eux et qu'il se souviennent de ces enfants qui les surnommaient les amoureux... Elle voulait le pousser dans ses retranchements pour qu'il souvienne de tout ce qui les avait unis avant que le destin ne les sépare...